La personne qui nous a accordé du temps pour répondre à nos questions ne pratique pas le karatedô mais vit pourtant quotidiennement au coeur du Kyokushinkaikan.
Madame Mitsue (elle préfère être appelée par son prénom) n'est autre que la secrétaire "historique" du fondateur de la Kyokushinkai, Oyama Masutatsu Sôsai.
Etant galant par essence nous n'avons, bien entendu, pas demandé son âge à Madame Mitsue. Il suffira de dire qu'elle doit approcher les quatre fois vingt printemps et que l'heure de la retraite aurait pu sonner voici déjà bien des années.
Femme discrète s'il en est, Madame Mitsue est restée aux côtés de Oyama Masutatsu Sôsai jusqu'à sa disparition, en 1994. Elle a ensuite décidé de rester au honbu dôjô, avec l'accord de Matsui Shôkei Kanchô, et continue de s'y rendre cinq fois par semaine. Elle y dirige le secrétariat, secondée par les différents Instructeurs et les élèves internes.
Hautement respectée de tous, elle fait totalement partie de la Famille Kyokushin.
- k.j.: "Mitsue Sama, merci d'accepter de répondre à mes questions. Je ne souhaite pas vous déranger."
- K.M.: "Pas du tout! Je suis contente mais je regrette simplement que ce ne soit pas en France. C'est vraiment magnifique et la cuisine est tellement bonne..."
- k.j.: "Vous êtes encore jeune mais pourquoi ne pas vous reposer un peu? Je vous croise toujours au honbu dôjô. Vous pourriez profiter un peu plus de votre temps..."
- K.M.: "Vous savez, je suis une Japonaise de la vieille école et je ne peux pas m'arrêter. C'est comme ça. Et puis je crois que je m'ennuierai alors j'apporte mon aide même si j'ai parfois du mal avec les ordinateurs. Heureusement les jeunes uchideshi m'aident bien."
- k.j.: "Quand avez vous commencé à travailler aux côtés de Oyama Sôsai?"
- K.M.: "Je crois que c'était au début des années 1970. A ce moment il fallait vraiment une secrétaire car l'organisation se développait de façon importante, notamment à l'étranger. On devait classer énormément de papiers, répondre au courrier et s'occuper des lettres venant de l'étranger. Au début j'étais seule et d'autres personnes sont venues mais, au bout d'un certain temps, je me suis retrouvée à nouveau seule et je suis restée."
- k.j.: "Quel genre d'homme était Oyama Sôsai?"
- K.M.: "Je le voyais arriver le matin en voiture. Un uchideshi servait de chauffeur.
Je le revois très bien, généralement habillé d'un imperméable et portant un chapeau et une petite sacoche en cuir. Ce n'était plus vraiment à la mode dans le Japon de l'époque mais c'était un homme conservateur et discret. Si on ne savait pas de qui il s'agissait, on le prenait pour un chef de service quelconque ou un policier en civil.
En fait, son regard faisait la différence car il dégageait une intensité exceptionnelle. Au début j'étais jeune et impressionnée mais il était toujours très gentil et courtois. Jamais rude. Parfois, lors des fêtes ou évènements, il nous invitaient au restaurant mais n'abusait jamais de la boisson. Il restait calme et serein."
- k.j.: "N'avez-vous jamais pratiqué?"
- K.M.: "Non! Hors de question! Ca faisait trop peur...
Quand nous avons déménagé dans l'actuel dôjô, la construction était bien plus légère. Moins dans la tradition japonaise. On entendait les cris, les coups sourds. Et puis je voyais les élèves sortir avec le visage tuméfié ou en boîtant.
De toute façon c'est toujours comme ça; on vous entend, surtout quand vous vous entraînez au premier étage ou quand vous ouvrez les fenêtres.
Vous savez, c'est souvent moi qui appelait l'hôpital pour leur dire qu'on arrivait avec un blessé. Maintenant je laisse les jeunes s'en occuper car je ne reste plus jusqu'à la fermeture. En tout cas vous êtes toujours aussi brutaux et sauvages!" (grand éclat de rire de Madame K. Mitsue)
- k.j.: "Connaissiez-vous la famille de Oyama Sôsai?"
- K.M.: "Bien entendu. Je connais toute la famille Oyama. J'ai vu notamment sa fille grandir. Ca me fait tout drôle maintenant. Ils étaient tous gentils et bien éduqués. Je crois que Sôsai était strict quant à l'éducation mais juste. Bien dans la tradition japonaise.
Je ne les vois plus maintenant mais ils ont toujours une place dans mon coeur. Je suis comme une grand mère qui pense à ses petits enfants. Nous étions comme une grande famille car Sôsai s'occupait de tout le monde, comme un chef de famille doit le faire.
Vous savez, il était très proche de ses élèves et faisait attention à tous."
- k.j.: "Permettez moi une question qui pourrait sembler déplacée mais quid du fait que Oyama Sôsai était ethniquement Coréen?"
- K.M.: "Pour nous tous ici il était Japonais. Il se comportait comme un homme Japonais traditionnel. Je l'ai toujours vu comme un compatriote. Je suis moi même purement Nippone et il était presque plus Japonais que les Japonais.
Comme il n'a jamais critiqué le Japon, ça ne posait aucun problème. Je n'ai jamais été témoin d'un problème par rapport à ses origines. Son Ecole est tout à fait japonaise dans l'esprit grâce à ses valeurs de courage, d'humilité et de respect. Il était un exemple pour mon pays."
- k.j.: "Question peut être stupide dont vous voudrez j'espère bien m'excuser mais le regrettez-vous?"
- K.M.: "Ce n'est pas stupide du tout. Je le regrette comme tous ses anciens élèves. A nouveau, il était un excellent exemple. C'était un homme au sens noble du terme.
Quand on voit la situation aujourd'hui je le regrette encore plus et je regrette que certains aient oublié ses leçons de vie. Il était fidèle, bon et droit. Il s'inquiétait des ses élèves et possédait une grande mémoire; tous avaient droit à son attention."
- k.j.: "Comment voyez-vous la situation actuelle de l'Ecole? J'entends pas là les scissions et disputes diverses."
- K.M.: "C'est bien triste car quand Sôsai était encore vivant, tous suivaient son action et ses idées.
Je ne critique personne mais il est dommage que certains aient oublié ce qu'il voulait. Il n'a pas seulement formé des karateka mais aussi aidé à forger des hommes au caractère droit. Vraiment dommage, oui, que certains oublient car devant Sôsai..."
- k.j.: "Quels sont vos bons souvenirs depuis toutes ces années?"
- K.M.: "Très nombreux. J'ai vu passer beaucoup de jeunes qui sont maintenant professeurs. Ca me fait plaisir de savoir ce que sont devenus les anciens.
Je suis aussi très heureuse de voir les enfants d'anciens élèves s'entraîner maintenant ici. Je suis une vieille grand mère et ça me fait vraiment plaisir. J'en vois maintenant de la troisième génération. Ce n'est pas un hasard mais grâce au charisme de Sôsai. C'est presque comme s'il était encore là en fait.
Je suis aussi contente d'avoir des nouvelles des élèves étrangers. Par exemple, j'apprécie quand vous me donnez des nouvelles de la France. Je me souviens très bien de Monsieur Jacques (Legrée Shihan). Il était très gentil et poli, Sôsai l'aimait aussi beaucoup. Je suis contente de savoir qu'il continue et qu'il est en bonne santé.
Les Français qui viennent ici sont toujours agréables et ils me parlent de la France que j'adore. J'ai vraiment envie d'y retourner. Comme ça je pourrais allez voir Jacques san et aussi Fabrice san (Fourment Senpai). Lui aussi est vraiment très gentil, je l'aime beaucoup et sa femme aussi."
Vous savez, je me souviens de Jacques san quand il était uchideshi. Ce n'était pas toujours facile pour lui je crois, à cause de problèmes de langue et d'argent. Je crois qu'un jour il a été blessé, peut être un bras cassé mais il est resté droit, fort et respectueux. Sôsai appréciait cela chez ses élèves."
- k.j.: "Les anecdotes vraies ou fausses sont légions à propos de Sôsai; en avez-vous une à nous compter s'il vous plaît?"
- K.M.: "Moi aussi j'ai entendu, c'est pour ça que j'étais impressionnée quand j'étais jeune. Mais, bon, je ne sais pas ce qui est vrai..."
- k.j.: "Vraiment rien...? Pas une anecdote...? Même pour moi...?"
- K.M.: (Rires de Madame Mitsue) "Vous êtes très charmant! Vous me parlez toujours avec politesse et respect et vous faites des efforts pour vous exprimer en japonais alors je vais vous raconter une anecdote. Je crois que je n'ai jamais raconté ça à personne.
Un jour de 1979, des hommes sont venus au dôjô. J'avais peur car ils avaient l'air de yakuza (organisations criminelles japonaises). J'étais vraiment inquiète car ils ressemblaient aux méchants de la série des films "Streetfighter" avec Chiba Shinichi ( acteur de film d'action également connu sous le pseudo de Sonny Chiba, dans "Kill Bill" notamment et accessoirement yûdansha Kyokushinkai).
Ils voulaient absolument voir Sôsai et les deux uchideshi à l'entrée commençaient à les regarder comme s'ils allaient combattre. J'avais peur que ces trois hommes portent des armes cachées sous leurs vêtements. L'ambiance était tendue et je crois que ces voyous n'étaient pas contents car Sôsai avait refusé le membre d'un gang comme élève externe.
Je commençais vraiment à paniquer quand Sôsai est descendu. Il s'est planté devant les hommes avec un regard incroyable. Il était comme un roc mais prêt à bondir. Vous avez du voir ce regard sur des photos. En fait j'avais encore plus peur de lui que d'eux. Les uchidehi n'ont pas bougé, attendant les ordres de Sôsai. Et alors ces trois voyous ont reculé pendant que Sôsai les regardait fixement. Ils ont eu peur et je crois qu'ils n'avaient aucune chance face à un tel homme. Ils sont partis et ne sont jamais revenus. Aucun mot n'avait été prononcé mais l'énergie de Sôsai et son aura ont tout fait. Vraiment incroyable..."
- k.j.: "Merci pour cette anecdote Mitsue Sama.
Pourrai-je me permettre de vous demander quels ont vos rapports avec Matsui Kanchô?"
- K.M.: "Ils sont très bons. Il m'a proposé de travailler au Ichigeki Center mais je suis bien ici. C'est un homme dans la lignée de Sôsai. Il est critiqué par certains mais il est sérieux, travailleur et fidèle."
- k.j.: "Mitsue Sama, avez-vous conscience d'être une mémoire vivante de la Kyokushinkai?"
- K.M.: "Je ne suis qu'une secrétaire et je le resterai jusqu'à la fin. J'aime ce que je fais et je suis heureuse de voir les jeunes suivre la tradition. Je ne demande rien pour moi et je n'oublie pas les gens bons comme Sôsai. Vous aussi suivez son exemple, s'il vous plaît."
Nos sincères remerciements vont à Madame Mitsue.
Cet entretien a été réalisé en japonais et en anglais dans une proportion de 75%/25%. Nous restons seul responsable des éventuelles erreurs d'interprétation et de traduction.
Interview par Pascal LOPEO, animateur du site Karatejapon.net
L'interview peut être consulté sur son site d'origine, avec les commentaires.